Aux premières heures du 26 mai,
une importante colonne de véhicules
blindés israéliens est venue
investir un quartier de Jénine pour arrêter
le président palestinien de la cour
d’appel et Wasfi Qabha, un ingénieur
qui remplissait, dans l’éphémère gouvernement
d’union nationale, les fonctions
de ministre en charge des questions
liées au mur et à la colonisation. Quelques
jours plus tôt, le ministre de l’Education
nationale avait subi le même sort, ainsi
que plusieurs élus, dont le maire de
Naplouse et de nombreux citoyens. Cette
série d’arrestations a porté à 11.000 le
nombre de Palestiniens détenus dans les
prisons israéliennes.
Une « faille » bien utile aux
tortionnaires
Opportunément, un rapport publié, peu
de temps auparavant, par deux ONG israéliennes
de défense des droits humains
vient nous en apprendre davantage sur ce
qui se passe derrière les barreaux de ces
prisons. Hamoked et B’tselem ont en effet
rendu public, le 6 mai, un rapport intitulé :
« Strictement interdit : torture et
mauvais traitements infligés aux prisonniers
palestiniens ».
Les deux associations rappellent que durant
la fin des années 80 et le début des années
90, elles s’étaient battues contre l’usage
qui était fait de la torture, à l’encontre des
prisonniers palestiniens, par les militaires
et les agents du Shin Bet qui les détenaient.
Le plus officiellement du monde
d’ailleurs, puisqu’en 1987 la commission
Landau les avait autorisés à user des « pressions
physiques » dites nécessaires à l’exercice
de leur métier.
Mais la commission Landau a été désavouée
par la Cour Suprême d’Israël (siégeant
en Haute Cour de Justice, dans le
litige opposant un certain nombre d’ONG
aux autorités israéliennes), aux termes
d’un arrêt rendu le 6 septembre 1999.
Cette décision rappelle que l’usage de la
torture comme des traitements cruels,
inhumains et dégradants est non seulement
rigoureusement interdit par la convention
internationale adoptée par les Nations
unies en 1984 sur ce double sujet [1], mais
également par un autre instrument international,
le Pacte relatif aux droits civils
et politiques de 1966 [2], ratifiés l’un comme
l’autre par Israël, mais aussi par les dispositions
de la loi pénale israélienne.
Ainsi déclarés illégaux, la torture et les mauvais
traitements (terme qui désigne les
traitements cruels, inhumains et dégradants,
étant entendu que l’une et les autres
peuvent viser non seulement le corps,
mais aussi l’esprit et qu’il n’y a entre eux
aucune différence, de gravité notamment,
sinon que la torture désigne les mauvais
traitements utilisés dans un but précis,
celui d’obtenir un aveu ou une information)
ont alors pratiquement disparu des
prisons israéliennes, du moins jusqu’aux
premiers mois de 2002.
Mais il y avait, dans l’arrêt du 6 septembre
1999, une faille qui n’a à l’époque échappé
ni au Comité des Nations unies contre la
torture, ni aux grandes ONG telles la FIDH
ou Amnesty International. Les magistrats
de la Cour suprême d’Israël ont en effet
cru bon d’ajouter à leur décision un paragraphe
qui précise que dans l’hypothèse
d’une ticking time bomb [3], les agents de
sécurité israéliens qui auraient été amenés
à pratiquer la torture pour arrêter le mécanisme
infernal ainsi supposé ne sauraient
être pénalement responsables.
A l’abri de ce paragraphe et avec l’assentiment
bienveillant de leurs hiérarchies
respectives, militaires et agents de sécurité
israéliens ont de toute évidence repris
leurs bonnes vieilles habitudes, singulièrement
au lendemain de l’opération « Rempart », comme le
constatent les ONG
palestiniennes et
israéliennes qui
s’occupent des prisonniers.
Plus de cinq
cents plaintes
Plus de cinq cents
plaintes ont en tout
cas été déposées ces
dernières années, par
des hommes et des
femmes palestiniens
dont les conditions
de détention n’ont
pas brisé le courage,
puisqu’ils ont en tout
cas trouvé celui de
faire une telle
démarche. Le Procureur
général d’Israël les a toutes déboutées,
ne prenant même pas la peine d’effectuer
la moindre enquête. A-t-il chaque
fois estimé, a priori, que les tortures et
mauvais traitements allégués avaient permis
de désamorcer à temps une « ticking
time bomb » ? On aimerait lui poser la
question, et lui demander de préciser quels
mécanismes explosifs ont pu être neutralisés
grâce aux tortionnaires, à quel endroit
et quand.
Le rapport déposé par Hamoked et B’tselem
le 6 mai permet de se faire une idée
plus précise du comportement des militaires
et des agents de sécurité israéliens,
à l’égard des Palestiniens qu’ils arrêtent
et détiennent. L’enquête porte sur le temps
qui sépare l’arrestation de la fin de la
période d’interrogatoire et elle a été effectuée
auprès de soixante-treize Palestiniens
âgés de 17 à 58 ans et originaires
de différents lieux de Cisjordanie. Les
personnes qui ont accepté de participer à
l’enquête sont pour les quatre cinquièmes
d’entre elles toujours emprisonnées et
elles ont livré leurs récits à un avocat en
présence d’un membre de chacune des
deux associations. Elles ont été choisies
parmi 4800 personnes arrêtées en 2005
et dont Hamoked disposait des noms, à la suite de la
démarche de
leurs familles ; il
faut ici souligner
que les autorités
israéliennes ne
remplissant pas
le devoir que leur
fait le droit international
comme
leur propre loi,
de signaler aux
familles l’arrestation
d’un des
leurs et son lieu
de détention ;
c’est Hamoked
qui les supplée
en quelque sorte
et qui a donc
accès aux
sources concernées.
Les enquêteurs
de Hamoked et de B’tselem n’ont retenu
que soixante-treize des personnes arrêtées
en 2005, dont trente-quatre l’avaient
été les 12 et 13 juillet, indistinctement et
à titre de représailles, au lendemain d’un
attentat-suicide qui avait fait quatre morts
à Netanya. Les trente-neuf autres prisonniers
ayant participé à l’enquête des deux
associations avaient été arrêtés nommément,
dans la seconde moitié de 2005.
Des tortures sophistiquées
La plupart dénoncent la brutalité de leur
arrestation, le fait qu’on leur bande les
yeux et qu’on leur attache les poignets
dans le dos, les insultes et les violences
dont ils sont l’objet de la part des soldats
durant leur transport vers une prison israélienne
où commencera immédiatement
leur interrogatoire par des agents de sécurité,
s’agissant de la deuxième catégorie
de prisonniers - ceux « recherchés » en
tant que tels-, tandis que ceux de la première
catégorie séjournent d’abord
quelques heures voire quelques jours dans
l’un des cinq centres de détention de Cisjordanie
où ils sont humiliés par les gardiens
et quasiment privés de nourriture
et d’eau.
Les uns et les autres subiront les interrogatoires
des agents de sécurité, durant
en moyenne trente-cinq jours d’affilée. Et
c’est alors que la plupart seront victimes
de mauvais traitements, voire de tortures
si on leur prête la détention d’informations
qui permettraient d’empêcher un
attentat ou bien de conduire à des personnages
« importants ».
Deux chapitres de ce rapport de 92 pages
traitent ainsi, témoignages à l’appui, d’une
part des méthodes d’interrogatoires habituelles
des agents de sécurité israéliens,
d’autre part de leurs méthodes « spéciales ».
S’agissant des méthodes habituelles, les
rédacteurs du rapport recensent et décrivent
avec minutie sept formes de mauvais
traitements qui sont le lot commun
de tous les prisonniers aux mains des
agents de sécurité israéliens. Cela va de
l’isolement complet, de la détention dans
des cellules exiguës, putrides et privées
d’ouverture mais éclairées jour et nuit à
l’électricité, au fait d’être interrogés des
heures durant dans la position très douloureuse
du « shabah » (pieds et poignets
attachés à une chaise basculée vers l’avant),
sans oublier les humiliations, les injures,
les menaces (de torture physique, d’arrestation
d’un parent ou d’un enfant) et l’utilisation
d’informateurs palestiniens déguisés
en détenus.
Quant aux méthodes spéciales, ce sont la
privation de sommeil et le « dry beating »
(coups qui ne laissent pas de traces), mais
aussi le « frog crouch » qui oblige le prisonnier
à se tenir sur la pointe des pieds,
les mains attachées dans le dos, avant
d’être poussé ou frappé pour finir par
tomber. Cela consiste aussi à lier les poignets
du prisonnier de façon si serrée que
le sang s’arrête de couler ou qu’il finit
par gicler, ou bien à lui secouer violemment
la tête en arrière ou de côté. Cela
consiste enfin à lui faire subir la « banana
position », ses pieds et ses mains étant
liés ensemble sous un tabouret, tandis
que son corps est penché en arrière dans
une position incurvée extrêmement douloureuse.
Vingt-et-un des prisonniers
entendus ont déclaré avoir été soumis au
moins à l’un de ces quatre derniers mauvais
traitements.
Plusieurs médias occidentaux, dont Le
Monde du 9 mai 2007, ont rendu compte
de ce rapport de Hamoked et B’tselem.
Pour sa part, le ministère public israélien
a jugé qu’il était « établi de façon tendancieuse
en vue de déformer la réalité »,
ajoutant que « dans le passé, de nombreux
Israéliens ont été sauvés grâce aux informations
ainsi recueillies ».
Quant aux conditions de détention, une fois
passée l’interminable phase des interrogatoires,
elles sont bien inférieures aux
normes internationales. Le nombre de
prisonniers politiques palestiniens a presque
doublé en l’espace de quatre ans, en sorte
que les cellules sont surpeuplées et que des
tentes ont été installées dans les cours de
certaines prisons. La nourriture est insuffisante,
de même que les médicaments. Le
voyage jusqu’aux prisons israéliennes est
pour les familles des prisonniers extrêmement
coûteux et d’ailleurs aléatoire.
Le territoire israélien étant interdit aux
avocats palestiniens, les prisonniers palestiniens
ne peuvent compter que sur des avocats
israéliens, courageux mais trop peu
nombreux.
Il faut aussi le rappeler : en incarcérant
des Palestiniens en dehors de leur territoire,
les autorités israéliennes violent les
dispositions des articles 49 et 76 de la
4ème convention de Genève, en d’autres
termes commettent des crimes de guerre.